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HEINRICH VON KLEIST

HEINRICH VON KLEIST

HEINRICH VON KLEIST

« NOUVELLES »

 

21 novembre 1811. Quatre heures de l’après-midi. Sur l’île aux Paons, au lac de Wannsee, près de Postdam, Heinrich Von Kleist regarde une dernière fois Henriette Vogel et lui tire une balle en plein cœur. Puis, d’une main ferme, il saisit le second pistolet posé sur la table. Il le met dans sa bouche et appuie sur la détente.

Ces deux êtres qui avaient décidé de mourir ensemble ont planifié leurs suicides avec méthode. Ils partent dans la mort avec sérénité, en ayant pris soin d’écrire des lettres d’adieux déchirantes à tous leurs proches. Les aubergistes du Neuer Krug les ont entendu rire et plaisanter toute la nuit. Ils ne sont jamais doutés un seul instant de la sinistre issue choisie par ces deux voyageurs insouciants arrivés la veille et qu’ils croyaient simples amants. 

À 34 ans, après des multiples échecs, littéraires et sentimentaux, Heinrich Von Kleist, à défaut d’une compagne de vie, a trouvé une compagne de mort en la mélancolique Henriette Vogel. Celle-ci, atteinte d’une maladie incurable, inscrit pour l’éternité son nom aux côtés du « seul vrai poète tragique d’Allemagne » pour Stefan Zweig dans son essai « Le combat avec le démon ».

« La vérité, c'est qu'on ne pouvait pas m'aider sur terre », écrit-il à sa sœur Ulrike, la veille de sa mort.

Etrange destin que celui d’Heinrich von Kleist, dont la vie tout entière semble traversée par une insondable tristesse et l’obsession de la mort. Les phrases gravées sur sa tombe  " Il vécût, chanta et souffrit en une époque trouble et difficile. Il vint y chercher la mort et y trouva l’immortalité" la résument admirablement. 

Cette mort, théâtrale et énigmatique, ne doit pas pour autant occulter l’essentiel :

Son œuvre géniale, écrite en seulement dix années, n’est semblable à aucune autre. Son contemporain le plus clairvoyant, Jacob Grimm, écrira à propos de lui : « Il est bien plus grand et plus parfait que Schiller. On ne peut le ranger  qu’à côté de Goethe, qui a peut-être pu l’inspirer, mais auquel il ne s’est jamais subordonné. Seul Shakespeare l’a enfanté ».

Dramaturge, nouvelliste et  journaliste, celui que Marthe Robert appelait « l’homme inexprimable », n’a jamais connu le succès après lequel il aura couru en vain. Ses pièces n’ont jamais été jouées de son vivant, ses journaux littéraires des échecs et sa vie une fuite perpétuelle, alternant les périodes d’exaltation et de dépression. Il aura passé sa vie à parcourir l’Europe, à essayer d’exorciser ses dévorants démons. En vain.

Il quitte l’armée, sa famille a une tradition militaire fortement marquée,  pour se consacrer à des études scientifiques. Puis survient la crise « kantienne », cette reconnaissance de l’inaptitude de la raison à accéder à la connaissance. Il rompt avec sa fiancée, achète des terres en Suisse pour se lancer dans l’agriculture. Il laisse tomber et habite un an dans une maison de pêcheur. Puis, il continue à fuir : Berne, Iéna, Paris, Berlin, Bâle, Weimar, Heidelberg, Dresde, Mayence, Königsberg, Wagram, Prague, Strasbourg…Il n’y réside jamais très longtemps. Partir. Fuir. Revenir. Il tente de s’intégrer dans un monde dans lequel il n’arrivera jamais à trouver sa place.

On le retrouve ensuite emprisonné au fort de Joux, soupçonné d’espionnage par les autorités françaises alors qu’il a décidé de rallier les troupes napoléoniennes.

Puis Postdam.

Écrivain inclassable, rejeté par Goethe lorsqu’il lui soumet sa pièce« Penthésilée », toléré par ses amis « romantiques » qui ne les comprennent pas, Heinrich Von Kleist choque, dérange, effraie.

Ses huit nouvelles sont parmi les plus remarquables à avoir été jamais écrites. Tout écrivain néophyte se doit d’y puiser son apprentissage. Leur lecture vaut tous les ateliers d’écriture.

Elles ont paru pour la plupart d’entre elles dans les revues littéraires qu’il a lancées : Phöbus et les Berliner Abendblätter.

Dans ce qu’il nomme des « récits », les héroïnes et héros kleistiens luttent pour braver la fatalité implacable qui règne dans un monde vicié, à l’innocence à jamais perdue. L’homme ne parvient à la vérité qu’à travers un cheminement douloureux. Et même s’il y parvient, il reste condamné à la chute, à l’erreur.

Écrits dans un style froid, distant et d’une précision extrême, les récits de Kleist sont le règne de la cruauté, de la sauvagerie, de la fureur, de la mort. Pas d’explications, juste l’exposition des faits. Dans leur vérité nue. Au lecteur d’y donner du sens.

Dans « La marquise d’O », la folie du combat pousse un officier russe, par ailleurs irréprochable, à violer la femme qu'il aime et à la vouer au déshonneur.

À Santiago, dans «  Le tremblement de terre du Chili », un jeune Espagnol, emprisonné, s’apprête à se pendre. Il a eu une liaison avec une religieuse qui vient de mettre au monde leur enfant. Un tremblement de terre viendra tout bouleverser, mais ils n’échapperont pas à leur destin.

Pendant la révolte de Toussaint Louverture, toile de fond des « Fiancés de Saint Domingue » un Blanc, sauvé par la jeune fille qui l'aime et qui s'efforce de le soustraire à la vengeance des Noirs, la tue et se donne la mort en apprenant la vérité.

« La mendiante de Locarno » est l’occasion pour Kleist d’aborder la veine fantastique à travers la vengeance post-mortem d’une mendiante humiliée et brutalisée. Mise en intrigue parfaite pour cette nouvelle qui ne fait que 3 pages.

« L’enfant trouvé »,« Sainte Cécile », « Le duel » permettent à Kleist de nous démonter que le monde dans lequel nous vivons est un monde en guerre : loi du plus fort, pouvoir religieux, règne de l’honneur pour lequel on tue.

Dans « Michael Kohnlass », un brave marchand de chevaux, las d’attendre que justice lui soit rendue mets la région où il veut à feu et à sang.

Huit nouvelles pour huit chefs d’œuvre.

A lire de toute urgence.

Kleist reconnu tardivement, voit actuellement ses pièces montées et connaît un succès mérité (La cruche, Le Prince de Hombourg, la Petite Catherine de Heilbronn).

Ce n’est que justice. Sa modernité éclate enfin au grand jour.

Il est temps également de redécouvrir l’extraordinaire nouvelliste qu’il fut.

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